covid-19
De jeunes sportifs, le long de la N2 samedi 21 mars 2020
[C’est la chronique d’une ville au lendemain d’une décision importante pour la sécurité sanitaire d’un pays de plus de 7 millions d’habitants]

Cela fait à peine 24h que les autorités togolaises ont pris des mesures complémentaires face à la propagation du covid-19. Vendredi à 20h, elles ont annoncé la fermeture des frontières dès 0h, le bouclage de quatre villes, la fermeture d’écoles, lieux de cultes et tous les autres endroits recevant du public…Ces mesures presque réclamées par des togolais devraient aider à freiner la propagation du virus, espère-t-on à Lomé. Seulement, tous les Loméens ne semblent pas se sentir concernés. Ce que nous affirmons, c’est la conclusion d’une observation attentive des comportements et depuis quelques jours ; notamment du vendredi après-midi à ce samedi, tôt dans la matinée…

Pour nous faire une idée de ce à quoi ressemblait Lomé tôt ce samedi 21 mars au matin, nous avons longé la nationale N°2 du rond-point de la plage du boulevard du 13 janvier à Baguida. Motif, constater particulièrement l’ambiance le long de la côte, un jour habituel de sport de masse, désormais interdit par le gouvernement ; de même que l’interdiction de se rendre à la plage.

Ce qui frappe en premier, aucun vacarme des matinées de sport animé de tamtams, de chants et bruit matinal de toute sorte le long de la N°2. Cependant, les sportifs, ils sont bel et bien présents, en petits nombres. Air perdu dans un décor qui laisse voir à perte de vue une plage orpheline de ses abonnées du samedi, ces groupes isolés semblent tenter de comprendre à peine ce qui a bien pu se passer !

Dans le décor, à peine visible, un gendarme, matraque à la main, s’égosille avec des gestes désespérés pour refouler quelques badauds qui s’avancent dans le sable fin… « Nous souffrons depuis 4h que nous sommes arrivées », confie cet agent des forces de sécurité. « Lorsque nous refoulons un groupe, un autre arrive », lâche-t-il, la main à la hanche lorsque nous nous sommes approchés de lui. « Nous faisons un tour pour observer comment les uns et les autres appliquent les mesures du gouvernement annoncées ce vendredi nuit », lui avons confié, une fois la présentation vite fait.

La trentaine, relaxe, ce gendarme nous confirmera ce que nous pouvions remarquer : « c’est pour cela justement que nous sommes là, nous leur expliquons que c’est interdit pour un temps. Mais il y en a qui ne comprennent pas », ajoute l’élément de la gendarmerie. Très vite, nous lui fausserons compagnie. Mais avant, nous attirons son attention : « il serait bien aussi que vous portiez un masque, non ? » Sourire d’espoir, « ça viendra », répond-il avant de nous tourner le dos.

Des jeunes, insouciants, allant au sport ce samedi matin en petit groupe, presque collé les uns aux autres

Sans inquiétude, sans protection…

Entre les joggeurs isolés, ceux en petits groupes ou encore ceux qui tentent toujours de s’approcher de la côte pour leur exercice physique, aucun ne semble exprimer une inquiétude particulière. En tentant de les aborder, les réponses étaient les mêmes : « nous  n’avons rien entendu » ! Une réponse symptomatique du dangereux désintéressement dont fait preuve un bon nombre des Loméens.

Autre coin chaud du jogging du weekend, l’espace aéré de la BCEAO de Baguida. Sur place, à quelques 50m de la sortie de la nationale, un élément des forces de sécurité retourne les passants. Quelques explications, puis demi-tour pour toutes ces personnes venues pratiquer le traditionnel exercice !

En pointant vers le monument de Baguida, un fait retient l’attention, si non deux. D’abord un véhicule en 42 (deux personnes devant plus le conducteur, et quatre derrière). Un jeune coincé entre deux femmes à l’arrière, porte néanmoins son masque ! Seuls les professionnels de la santé nous diront s’il est réellement protégé. Le second fait, un policier au feu tricolore, masque et gants au point ! C’est l’unique que nous avons aperçu dans cet apparat de protection. De quoi nous demander s’il ne serait pas temps d’en faire plus pour la sécurité des hommes et femmes en charge de la sécurité des populations en ces temps difficiles, tout comme pour tous ceux qui sont « au front » d’ailleurs (médecins, personnels soignants, agents de l’aéroport, port, ceux de l’ANPC etc…)

En prenant les mesures draconiennes, le gouvernement togolais, comme partout au monde, a rappelé qu’il fallait faire preuve d’une responsabilité individuelle, car en dépend notre santé collective !

Une partie de la plage vide, en face de l’Hôtel Onomo

De la décision à l’action…

Si le pire devrait arriver, ce sera aussi et surtout (à voir ce qui se passe), à l’étape actuelle des choses, par manque de responsabilité individuelle. Une responsabilité qui tarde à se faire remarquer dans la posture adoptée par les populations face à la menace. A la limite, ceux qui portent les masques en circulation font l’objet de raillerie. Ne soyez pas surpris qu’aux feux rouges, l’on vous dévisage en secouant la tête avec un sourire narquois comme pour vous dire, « vous êtes ridicules ! »

Dès lors, le gouvernement devra pousser le bouchon plus loin. Ceci, en conjuguant en un temps record, la dualité : sensibilisation-sanction.

L’OMS et plusieurs voix ayant vécu l’ »enfer chinois » et aujourd’hui européen (italien notamment) s’élèvent pour appeler l’Afrique à ne pas commettre les mêmes erreurs.  Ce qui suppose qu’il faut en premier éviter de jouer au « Rambo » et croire que rien de grave n’arriverait. Ainsi, la mesure de confinement total pourrait s’avérer compliquée mais les signaux devront davantage faire prendre conscience. Le confinement, l’ultime recours ne devrait pas être pris au stade 3 de la pandémie dans un pays comme le Togo où tous sont d’accord qu’il n’existe aucune possibilité de réponse réellement adaptée à une crise d’une telle ampleur. C’est donc maintenant qu’il faut étouffer le « poussin » dans l’œuf. Cela aurait peut-être l’avantage de faire comprendre à cette insouciance qu’il s’agit d’un jeu de mort…que de se moquer des mesures éditées par les autorités du pays et sanitaires.

Des « Saint Thomas » jusqu’au bout…

Vendredi, en fin de journée, peu avant l’annonce des mesures complémentaires du gouvernement, nous avons assisté en anonyme à un débat hilarant entre conducteurs de motos et un jeune homme. Ce dernier a cru bon les sensibiliser au détour de quelques discussions. Le jeune homme revenait, disait-il, du grand marché de Lomé. Il déclarait avoir entendu des gens chuchoter aux commerçants de prendre des dispositions, parlant d’une possible fermeture prochaine du marché (à cette heure,  aucune décision n’est prise en ce sens). « Le gouvernement va-t-il nous nourrir s’il ferme le marché ? » lui a rétorqué un des conducteurs. Dans un tohu-bohu complet, chacun criait sur l’infortuné de soutenir des « mensonges d’Etat ». « Vos gouvernants nous mentent, il n’y a rien à Lomé », lui jetaient à la figure d’autres…

Comment donc prévenir la propagation d’un virus aussi mortel que le covid-19 dans une ville désormais bouclé, de même que trois autres, où sont détectées les traces du virus ? La grande interrogation qui fait croire que la réponse se trouve peut-être dans l’exemple chinois ou italien…un confinement général, malgré toutes les conséquences. Car, il n’y en aura pas plus dramatique qu’une population togolaise décimée par l’inconduite de quelques-uns ! Comme ce citadin qui allait à un rendez-vous important à Aného et, que nous avons rencontré par hasard à Baguida, qui a vu son véhicule retourner au péage d’Agbodanmonou, de même que tous les autres véhicules venant dans les deux sens, nous a-t-il confirmé…

Oui, il faut prendre des mesures droconiennes. Mieux, il faut les faire appliquer. Loin de nous d’être alarmiste, mais l’heure est à la prise réelle de responsabilité, à tous les niveaux et à tous les coups !

Ben Souleyman