Me. Jean Yaovi DEGLI connait bien l’histoire de la constitution de 1992. Il était, à l’époque l’un des plus jeunes politiques togolais et le plus jeune ministre du gouvernement de la transition à 28 ans. Il est un acteur et observateur avisé des longs combats menés au Togo pour la démocratie, depuis les années 90. Alors que le débat sur le retour à cette constitution de 1992 devient houleux, dans cette interview à full-news, Me. Jean Degli livre son analyse de l’actualité politique. Pour lui, « le Peuple togolais a répondu à la question de son président » en réclamant la constitution de 1992.

Me. Jean Yaovi DEGLI, président de « BATIR LE TOGO »
Me. Jean Yaovi DEGLI, président de « BATIR LE TOGO »

Full-news: Maître. Jean Yaovi DEGLI, vous êtes un des acteurs de la constitution de 1992. Comprenez-vous aujourd’hui l’exigence du retour à cette constitution par l’opposition togolaise ?

Me. Jean Yaovi DEGLI: Je salue particulièrement ceux et celles qui se sont mobilisés pour demander que les dirigeants togolais finissent enfin par prendre ce peuple toujours meurtri en considération.

Je remercie tout particulièrement Monsieur Tikpi Atchadam qui a su avoir le langage qu’il faut, poser le pas juste pour créer l’événement afin d’unir cette opposition qui peinait à se remettre ensemble pour mobiliser le Peuple en vue de la démocratie et l’Etat de droit dans notre pays. Que Dieu tout puissant le bénisse et le protège.

Ensuite et en réponse à votre question, je dirai oui, je comprends totalement l’exigence de retour à la constitution de 1992 de la part non pas uniquement de l’opposition togolaise mais de la part d’une bonne partie de nos populations.

Premièrement, rappelez vous que cette constitution a été adoptée presqu’à l’unanimité puisque plus de 97% de l’électorat togolais l’a adoptée en septembre 1992. Cette constitution a été modifiée unilatéralement sur demande d’un seul homme qui considérait que son pouvoir ne peut pas s’en accommoder et qui avait besoin d’un pouvoir à vie. J’ai nommé le Président Dictateur Général (PDG) Eyadema qui a fait modifier cette Constitution par son parti (une poignée de Togolais) soutenu en cela par la soldatesque qui lui répond aux doigts et à l’œil.

Après le décès du PDG en 2005 et plus de 500 morts plus tard, pour pacifier le pays et permettre que l’actuel pouvoir soit accepté, la classe politique (pouvoir et opposition) a signé en août 2006 l’Accord Politique Global (APG) qui demande le retour à un certain nombre de fondamentaux de cette Constitution. Puis, se cachant derrière des arguties du genre l’Union des Forces du Changement (UFC) a violé l’APG car il n’a pas participé au gouvernement issu dudit accord, le pouvoir a refusé pendant onze (11) de mettre cet APG en œuvre après que le Président de la République a affirmé lui-même plusieurs fois qu’il s’en portait garant et le mettrait en application. Dix (10) ans après la signature de cet accord, on dit à ce peuple en 2016 que cet APG est caduc et que l’on met en place une commission pour aller venir indiquer au pouvoir quels genres de réformes constitutionnelles il faut faire dans le pays. Dans le prolongement du mépris avec lequel ce peuple se voit ainsi traité, cette commission se présente devant les populations pour leur demander quels types de réformes elles souhaitent avoir.

Eh bien ! La réponse ne s’est pas fait attendre. Puisque le régime ne sait pas quelles réformes ce peuple qui a adopté une constitution à plus de 97% souhaite avoir, le peuple a voulu simplement lui rappeler qu’il a une volonté qui s’est déjà clairement matérialisé et que cela s’est traduit dans la Constitution adoptée en 1992. Et puisque c’est ce que le peuple togolais connaît le mieux comme répondant à son idée de réformes constitutionnelles et à ses aspirations, il a voulu qu’on le lui serve cette Constitution qui elle, n’est pas caduque.

Il n’est donc pas étonnant que le Peuple togolais revendique le retour à la Constitution de 1992.

Si les Togolais ne savent pas ce que le régime avec sa fameuse commission voulait leur servir comme réformes, ils savent au moins ce que contient leur constitution démocratique de 1992. Le Peuple togolais dans sa globalité a donc refusé les lendemains incertains pour demander ce qu’il connaît déjà. C’est la réponse la plus sûre au problème des réformes constitutionnelles et surtout à la question de savoir quel type de réformes le Togolais souhaite.

Les revendications actuelles répondent donc clairement à la question que le Président de la République et sa Commission de réflexion ont posée aux Togolais. Quel type de réformes constitutionnelles et institutionnelles souhaitez-vous ? La Constitution de 1992.

Le chef de l’Etat voulait apparemment la réponse du Peuple en mettant en place cette Commission de réflexion. Durant toute sa tournée, la Commission n’a pas pu réunir mille (1000) personnes. Puis des dizaines sinon des centaines de milliers de Togolais descendent dans la rue pour donner au Président de la République la réponse à sa question. Je crois qu’on ne peut pas faire mieux et on ne peut pas avoir meilleure réponse de la part d’un peuple. Le Peuple togolais a répondu à la question de son président. « Les réformes que nous voulons, c’est le retour à la Constitution de 1992 ». De là la nécessité de retourner à ladite Constitution. La réponse est assez claire pour que l’on n’ait plus besoin d’aller par quatre chemins. En plus, cette réponse évite toute discussion et tout conflit. La Constitution originelle de 1992 désirée par les Togolais existe. Elle contient tout ce qu’il faut pour faire la démocratie et l’Etat de droit au Togo. Qu’on la restitue au Peuple dans son intégralité et tout est réglé.

Savez-vous ? Le pouvoir a trop tiré sur la corde ; trop abusé de sa force et du silence du Peuple togolais. Ces réformes auraient pu être faites depuis des années et on n’en serait pas là aujourd’hui. On a préféré mépriser les aspirations du Peuple, joué avec la peur des gens, agi de mauvaise foi pour ignorer les accords signés parce que disait-on la faiblesse de l’opposition laisse un large boulevard au régime qui peut donc espérer rester au pouvoir ad vitam aeternam. Les divers appels pour agir et engager les réformes de façons sereines pour éviter le pire ont été ignorés. Tout cela se retourne aujourd’hui contre le pouvoir en place. La morale à en déduire est simple : à force de chercher ce que l’on ne peut pas trouver, on finit par trouver ce que l’on ne cherche pas.

Depuis les manifestations du 19 août dernier, le débat sur les réformes avec le retour à la constitution de 92 semble plus que jamais amorcé. L’opposition togolaise ne vise plus de réformes mais le retour pur et simple du texte de 1992. Pensez-vous que c’est une bonne stratégie ?

La stratégie de l’opposition togolaise est simplement la stratégie d’un peuple qui, face à l’incertitude des réformes qu’on veut lui imposer et dont il ne connaît pas les arcanes et à la certitude d’une Constitution dont il maîtrise parfaitement les tenants et les aboutissants pour l’avoir adopté lui-même, préfère ne pas aller à l’aventure mais plutôt revendiquer et revenir à ce qu’il connaît.

Je ne crois pas qu’il puisse y avoir meilleure stratégie. Le Peuple ne connaît pas les réformes que le pouvoir veut lui servir. Il sait ce qui se trouve dans la Constitution de 1992 et quel type de système politique elle lui permet de vivre ou d’expérimenter. Il a donc choisi le connu face à l’inconnu, la certitude face à l’incertitude.

Au moins dans ce domaine, l’opposition a la certitude de se retrouver entièrement du côté du peuple qui a voté massivement pour cette Constitution il y a quelques années.

La constitution de 92 doit-elle évoluer ? Si oui comment et sur quel point.

Il est évident que toute constitution évolue et que notre Constitution de 1992 aussi devra évoluer. Mais voyez-vous, seule une constitution que l’on a appliquée peut évoluer puisque c’est à l’application que l’on se rend compte des incertitudes et des difficultés d’application pour rectifier ce qui ne semble pas bien marcher.

Malheureusement, la Constitution togolaise d’octobre 1992 n’a jamais reçu application.

Eyadema a gouverné à partir de 1993 sans s’y référer ou mieux en l’ignorant totalement. Puis, dès 2002, il l’a vidé de son sens en enlevant tout ce qui constitue la quintessence même de cette constitution. Alors, comment véritablement faire évoluer cette constitution qui n’a pas été appliquée ? Là est toute la question.

Même si je ne pense pas que cette Constitution de 1992 n’a pas des imperfections, il m’est difficile de dire aujourd’hui qu’elle doit évoluer sur tel ou tel point. Commençons par l’appliquer et nous verrons sur quel point elle a besoin d’être améliorée.

Si le texte proposé par le gouvernement venait à être adopté, avec les amendements que comptent introduire l’opposition parlementaire ; elle voudrait qu’il soit rétroactif. Partagez-vous cette démarche ? Pourquoi ?

La loi n’est pas en principe rétroactive et elle ne peut l’être qu’exceptionnellement, soit parce que les exceptions sont prévues dans les principes légaux (loi d’amnistie, lois fiscales, lois pénales douces et lois de procédure, etc.), soit parce qu’il y a des accords politiques pour ce faire.

C’est vrai que même si le principe de la non rétroactivité est acquise, on peut être tenté de pencher du côté de ceux qui souhaitent l’application rétroactive de la limitation des mandats présidentiels au chef de l’Etat si on part du fait que c’est le régime qui a tout fait pour empêcher la mise en œuvre de ces réformes afin de se pérenniser au pouvoir et que si ces réformes avaient été opérées depuis 2006 et la limitation des mandats rétablie, l’actuel chef de l’Etat aurait déjà fait et terminé ses deux mandats. Maintenant, est-il possible en l’état actuel pour notre opposition d’appliquer une disposition constitutionnelle de façon rétroactive au pouvoir en place ? La question reste posée.

Mais il me semble que le vrai problème qui se pose relativement aux revendications de l’opposition tient beaucoup plus de l’immédiateté d’application des réformes que de leur application rétroactive.

En tous cas, c’est ce que je crois comprendre.

Pour vous, si les réformes venaient à être adoptées, que ce soit au parlement ou par référendum comme l’annonce certains politiques, quel devra-être la prochaine étape dans le processus de réforme du pays ?

La prochaine étape évidemment, c’est de mettre ces réformes en œuvre et de les traduire rapidement dans la réalité. Des dispositions doivent donc être prises pour cela sans attendre. On ne va pas mettre onze (11) nouvelles années pour mettre les mécanismes et instances nécessaires en place après de nouvelles tueries.

Pensez-vous qu’il doit y avoir rétroactivité ou application immédiate de la réforme ou pas ?

Je pense que vu le temps qu’on a mis pour finalement arriver à l’adoption de ces réformes prévues depuis 2006, le minimum, c’est de les appliquer immédiatement une fois adoptées.

Que pensez-vous de la nécessité ou pas d’inscrire dans la nouvelle écriture de l’article 59 la formule « En aucun cas nul ne peut exercer plus de deux mandats » ? 

Cette formule est indispensable pour plusieurs raisons. Elle se trouvait dans la constitution originelle en 1992. Elle se trouve dans la constitution de plusieurs autres pays dont celle du Bénin voisin (article 42). Elle n’a tué personne. Mais au contraire, elle permet d’éviter que qui que ce soit tente de faire plus de deux (2) mandats, soit de façon consécutive, soit même de façon détournée et à la Poutine en quittant après deux (2) mandats pour revenir après un intermède d’un mandat. Cela deviendra alors une rotation au pouvoir comme cela se passe en Russie entre Poutine et Medvedev et non une alternance au pouvoir. Sur ce point précis, je préparer une tribune qui sera publiée bientôt sur ce que je pense du refus du pouvoir de voir cette formule inscrite dans l’article 59 de la Constitution.

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